mardi 24 février 2015

Tu ne mangeras plus de viande

Et voilà, ce qui devait arriver arriva, ma conscience vient de me rattraper.

Bon, faut dire, c'est pas un exploit, elle a pas non plus un niveau olympique, la gourgandine, car je ne cours pas très vite.

D'autant que j'ai toujours considéré la course comme un ultime recours, en cas de danger immédiat... non sans déc, pourquoi courir sinon pour s'échapper?

Et en l'occurrence, je n'ai pas considéré qu'il y avait péril en la demeure.

Suis-je con, nom d'une entrecôte, comme j'allais me mordre les doigts (et ils ont mauvais goût), suite à pareille négligence.

Elle m'a poursuivi de nombreuses années durant, me faisait régulièrement des appels de phare, mais je ne l'écoutais pas, ne me retournais pas sur mon comportement... jusqu'à ce que...

Cela faisait fort longtemps que je m'interrogeais sur le fait de manger de la viande d'animaux, on le sait, pour la plupart élevés dans des conditions lamentables, et mis à mort de manière non moins abominable.

Moi qui me suis toujours dit l'ami des animaux, il n'empêche que je les croustais avec délectation, sans l'ombre d'une hésitation. Sont-ce bien des manières? On ne mange pas ses amis, Cetro, voyons, ça ne se fait vraiment pas...

Disons que depuis ma venue sur terre, j'ai fait de mon ventre la fosse commune de troupeaux entiers de vaches et de moutons, fussent-ils un peu soit folles soit tremblants, rumen, prions ensemble.

Les porcs dans tous leurs états n'ont bien sûr pas échappé à ma gloutonnerie barbaquienne, et c'est ainsi que jambons, saucissons, rôtis et autres pâtés ont fait les beaux jours de mes tablées pour finir invariablement dans les gogues.

Oui, mais voilà, comme je le disais, je viens de découvrir une chose, c'est que l'animal Cetro a finalement une conscience.

A tous ceux qui désireraient me dire "eh ben mon vieux, à 44 ans, il était quand même temps", je répondrai volontiers "probablement avez-vous raison, mais sachez que je vous emmerde, et dieu sait si, en la matière, je suis expérimenté et doué".

Tout de même, je tiens à le préciser pour plus d'honnêteté, j'ai pris soin de mettre ma conscience en sourdine pour les fêtes de fin d'année, je lui ai bien fait fermer sa grande gueule le temps d'engloutir foie gras et chapons. Les bonnes résolutions c'est très bien, mais accompagnées de mets délicats, c'est encore bien mieux.

Il se trouve donc que ma bougresse de conscience ne cesse de grandir en force et en puissance, et que son influence sur moi croît en même temps.

Non contente, la salope, il n'y a pas d'autre mot pour qualifier cette sournoise, de me faire culpabiliser lorsque d'aventure je sors d'un supermarché avec un caddie empli de victuailles et passe devant le pauvre bougre qui fait là la manche, voilà qu'elle s'est mis en tête de me rappeler de manière insidieuse que derrière cette côte ou ce gigot que je m'apprête à bâfrer salement, se cachaient en fait le joyeux Babe gambadant et le mignon et tout doux Boumboum encore tétant, agneau de mon enfance.

C'est une chose de manger un morceau de viande, c'en est une toute autre lorsqu'on pose dessus une identité.

Seul face à mon entrecôte Jeannette et mon rôti Rémi, bouffi de remords et de culpabilité, je ne trouvais plus moyen que de verser quelques larmes là où, avant l'arrivée de cette garce, je déversais des litres de salive pour faciliter l'ingestion de mes amis en kit.

Moi qui, jusqu'à présent, ai ingéré à peu près tout ce qui a du poil et qui marche sur cette terre (pas de plaisanteries salaces, je vous prie, l'heure n'est pas à la grivoiserie) , voilà que mes convictions s'effondrent.

Ma conscience s'est ingéniée à me faire voir ce que jusque là je me refusais à voir, comme un gros lâche hypocrite que je suis.

Merde, ne me dis pas que ce qui se trouve dans mon assiette à l'état de tranches était il y a encore deux jours seulement le joli Bambi, veau magnifique aux yeux doux et aussi tendres que sa viande??? Ben si mon connaud, et tu le savais pertinemment.

Je le connaissais, le tiot, il se laissait gentiment grattouiller la tête, me donnait volontiers un coup de langue amical.

Et moi, pour le remercier, je charge indirectement des gars de le transformer en haché, de le rendre méconnaissable pour m'autoriser un repas aussi coupable que décomplexé?
Nomdidju... mais c'est horrible!!!

Et ce joli petit corps nageant tranquillement dans son plat et sa sauce à la moutarde, tu me dis qu'il s'agirait de Panpan, petit lapin adorable que j'ai pris tant de plaisir à caresser lui aussi?
Continue à faire l'innocent, corniaud!

C'en est trop pour mon âme de midinette, je ne peux persister dans cette voie.

Voilà donc pourquoi moi, viandard invétéré, idole des bouchers, cauchemar des étables, terreur des porcheries, Francis Heaulmes des basse cours, j'ai décidé de ne plus jamais boulotter d'animaux élevés dans des conditions exécrables.

Cela fait une semaine que j'ai arrêté, et je me demande si les symptômes dont je suis victime sont bien normaux.
Je ne fais plus de rêves traditionnels, peuplés de personnes et de situations étranges, non.

Mes songes sont tapissés de saucissons et pâtés, de boudins (ça ça pouvait arriver avant, tout de même) et andouilles (bon, ça aussi, parfois, voire souvent tant j'en ai fréquenté), d'entrecôtes et rôtis.

Le sevrage est difficile, et pour commencer en douceur, je me suis collé une entrecôte en patch sous chaque bras. Outre le côté peu pratique et économique de la chose, il faut avouer qu'il y a mieux comme déodorant. Puis les auréoles sanguinolentes sous les bras de chemise, faut avouer que c'est pas la méga classe.

J'ai bien essayé aussi la Eviande, sorte de substitut électronique censé amenuiser mes pulsions sanguinaires... il n'en fut rien.

Donc, pour me faire aider, je me suis inscrit aux VA (viandards anonymes).
Je ne voudrais en aucun cas faire de mauvais esprit, mais j'ai tout de même quelques doutes sur le bien fondé des séances... toutefois je persiste, pour le bien de mes amis laineux et à plumes.

Vous savez, lors de ces sessions, on se présente, devant tout le monde, et on dit ce qui nous amène ici.
"Bonjour, je suis Cetro, j'ai beaucoup mangé de viande. Je suis tombé dedans très tôt, dès que j'ai eu des dents. Cela fait une semaine que je n'ai pas touché la moindre parcelle de protéines animales"
"On t'aime, Cetro"
Ouais, ben m'aimez pas de trop près, car je suis d'humeur bouchère.

J'ai décidé d'arrêter les séances lorsque j'ai commencé à percevoir mes camarades comme de juteux bouts de barbaque. Je l'imaginais, la ginette, avec une broche allant de sa barbe au cul (vrai origine du mot barbecue, paraît-il), en train de tourner gaiement au dessus des braises ardentes.

Merde, saliver sur ses camarades, ça ne se fait pas plus, Cetro.

Je n'exclue pas, un jour ou l'autre, de manger un élu du FN ou bien un Jihadiste, histoire de me dégoûter à tout jamais de ce goût immodéré pour la carne.

En attendant, je regarde les moutons et les vaches autour de chez moi, gambadant et paissant paisiblement dans les prairies environnantes... Jamais je n'en avais vu autant... me demande s'ils se foutraient pas de ma gueule, les petits enfoirés.

6 commentaires:

  1. Excellent !!! J'ai adoré !!! Cetro, tu tiens le bon bout alors continues tes efforts...même si je m'inquiète un peu pour les petits enfoirés qui te gambadent sous le nez....ça me fait penser (oui excuses moi mais c'est ainsi) à Twilight quand la jeune fille fraiche rentre dans la maison des vampires et qu'ils ont envie de la bouffer...mais au final ils résistent !!! En tout cas, bravo, car malgré mon amour pour les animaux, je n'arrive pas à me passer de cochon et de bœuf surtout... Mais t'inquiètes, chaque fois qu'on en mangera, on fera une prière suppliant qu'on devienne tous un jour végétarien...C'est un bon début non ??? mdr

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  2. Ah ouais mais non... pas twilight, quoi... ou je demande une réécriture du scénario, ça va pas se terminer aussi bien pour la fraîche tourterelle. Bon, sinon, concernant la prière, c'est un début, certes, mais timide, hein...

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  3. Non d'un poussin ! Je l'avais raté celui-là ! Des nouvelles de Bambi ?

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    1. Aaaaah, Pascale, que le souvenir m'est douloureux. Le malheureux Bambi a fini comme bien trop de ses congénères, hardiment mâchonné puis ingéré. Je peux me rassurer en me disant que cela n'est pas de mon fait, mais je n'ai pourtant rien fait pour le sauver, lâche que je suis. Bonne journée, Pascale.

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  4. Est-il utile de dire que j'ai franchement rigolé ? Merci Cetro

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    1. Merci Pascale, quelques mots suffisent parfois à illuminer une journée. Merci encore.

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